Chronique d’un soleil artificiel – épisode 2

Dans cette période sombre et pleine de brouillard, les humaines inquiets pour leur foyer découvrent un monde riche et effrayant, peuplé de marionnettistes doués d’une dextérité maléfique. En cachette, l’homme-machine avait savamment déployé ses longs bras extensibles, manipulant ses jouets issus de petits bâtiments gris et ambitieux. L’eau ruisselante du coin, agacée par ces agissements, s’emportera de vives flots et rappellera aux êtres bipèdes la force du courant.

Pertuis “Pellenc City”, octobre 2019
Suite à la fameuse missive lancée aux bientôt-expropriables, la préfecture du Vaucluse lance la respectable démarche démocratique de l’enquête publique qui repose sur trois piliers fondamentaux:
1) écouter d’une oreille l’avis d’acteurs institutionnels serviables, ignorer de l’autre l’expertise des assos écolos
2) prétendre solutionner le mécontentement massif et manifeste de citoyens concernés
3) construire une rhétorique justifiant l’absolue pertinence du projet malgré ses légers défauts: ces dites “réserves” pourront ensuite être facilement levées par un maître d’oeuvre compétent.
Pour chapeauter l’affaire, un.e citoyen.ne se porte volontaire pour jouer le rôle gratifiant de commissaire enquêteur: il s’agit dans notre cas d’une professeure de mathématique, dont l’esprit logique et rationnel est naturellement certifié, voire agrégé – précisons à nos lecteurs attentifs que cette profession regorge de profils différents.

Premier des comédien.nes institutionnels, la Chambre du Commerce et de l’Industrie reconnaît les yeux fermés la “qualité” du dossier: classique. La Chambre d’Agriculture, dont le coeur penche plus vers la FNSEA que la Conf’ Paysanne, se réjouit d’un projet aux impacts agricoles “nuls à modérés”, respectant le sacro-triptyque “Eviter-Réduire-Compenser” ; cependant, elle se fait du mouron concernant le manque d’actualisation des “valeurs chiffrées des marges bruts et du capital végétal”: ça se comprend. Le Parc Naturel Régional du Lubéron (slogan: “Une autre vie s’invente ici” ; présidé par Dominique Sall, maire d’Apt, Les Républicains) ne peut que constater l’utilité “avérée” du projet et propose naturellement son aide pour la promotion d’un “urbanisme durable” ; quelques haies, des arbres préservées, des canaux non busés, et ainsi on “minimise les impacts sur la faune, la flore, les paysages et l’agriculture”: facile en fait. Etrangement, la note du Service Prévention des Risques Techniques, rappelant la pollution des nappes souterraines au tétrachloroéthylène (merci Sotramo Parola) et la nécessité d’une étude d’impact, semble avoir été égarée par les décideurs. Finissons par les plus honnêtes et merveilleuses des contributions, celles des directeurs respectifs de Pellenc SAS – dont Roger est conseiller stratégique -, et Pellenc Energy – dont Roger est actionnaire majoritaire. Mis à part le traditionnel chantage à l’emploi, on apprend les surfaces et même les prix exigés par les businessmen: une vingtaine d’hectares, à moins de 15€ du mètre carré aménagé: s’il-vous-plaît, bien cordialement.

Face aux requins en costard, les écolos-légalos-réformos ont du mal à peser dans le game ; amer constat pour ces bénévoles qui réalisent un solide travail de recherches et de réflexions. L’Etang Nouveau apporte son regard sur les crues: rien ne sert de vouloir les diguer, les dompter ; mais plutôt les laisser couler et fertiliser nos terres: en voilà une, d’utilité publique, qu’ils disent! France Nature Environnement insiste quant à elle sur le PPRI (Plan Prévention des Risques d’Inondations): celui de la Durance classe une bonne partie du projet en zone inondable, la rendant non constructible ; rassurez-vous, Roger a bien sûr prévu sa révision, qui d’ailleurs peine à aboutir. SOS Durance Vivante rappelle que Pertuis peut subir aussi bien les crues de la Durance que celles de l’Eze, et que l’effet combiné des deux n’a jamais été étudié. L’artificialisation des terres, en plus de compromettre la gestion des eaux pluviales, menace la recharge des nappes phréatiques. Enfin, l’asso relaie aussi une étude de la SAFER, qui classe la zone comme “représentant une potentiel de production agricole et/ou viticole intéressant à exceptionnel”, d’autant que les terres sont “irriguées de manière sécurisée tout au long de l’année par plusieurs canaux”. La Conf’ 84, quant à elle, met en perspective les 86ha menacées sur Pertuis avec les 2300ha voués au béton dans le Vaucluse lors des 10 prochaines années.
D’autres argumentaires, moins environnementaux, seront peu ou pas exposés: la violence des expropriations, le clientélisme déjà commencé, la non-optimisation de la ZAE existante (il y reste des lots vides!), le manque de démocratie et d’études d’impact, le prix de rachat ridicule (1€/m²) proposé aux agriculteurs, les évidents conflits d’intérêts, l’absence de liste réelle d’entreprises intéressées, un financement public déjà fortement réhaussé (15 M€ d’euros) et qui oublie une bonne partie des dépenses… En somme, quelques ingrédients indispensables à un grand projet à la con.

Décembre: la veille même de l’ouverture de l’enquête publique, l’Eze gronde et déborde à Pertuis ; ces inondations, reconnues catastrophe naturelle, entraînent plus de 400 hectares sous les eaux. Y voyant un signe, Terres Vives envoie une lettre publique à Roger soulignant l’absurdité presque ostensible de sa lubie. Ce mois-ci, le collectif parvient à réveiller quelque peu la cité: la participation à l’enquête est exceptionnelle, et déjà une première manifestation rassemble plus de 300 personnes. Pas encore d’émeutes BlackBlock à Pertoche, mais quand même, le Dr OctoPellenc commence à se dire qu’il a en face de lui une belle bande de relous. La commissaire-mathématicienne, quant à elle, se plaint d’insultes et de larmes de la part des bientôt-expropriables: “est-ce que vous condamnez ces violences ?” aurait demandé Pujadas. Dans son rapport, bien qu’ayant apparemment compris les quelques problématiques liées au projet, la prof conclut par un avis favorable avec des “réserves” que la Métropole lèvera aussi facilement qu’un gilet jaune une barrière de péage. Ainsi, le 25 juin 2020, le Préfet du Vaucluse pose son tampon: le projet est reconnu d’utilité publique. “Ca y est, on a les droits !!!” s’écrie Roger depuis son tapis rempli de légos. L’EPF PACA a désormais droit de préemption et d’expropriation sur toutes les parcelles et maisons de la zone; les recours juridiques étant non suspensifs, la machine à broyer est lancée, et elle a 5 ans pour réussir à finaliser sa réserve foncière, autrement l’utilité publique sera caduque. A moins qu’il reste à Pertuis, l’esprit des insurgés…

L’eau du coin parfois, réagit de manière brutale et maladroite; c’est qu’elle a aussi son mot à dire dans l’histoire. Sortie de nulle part, une sorcière débutante lance des sorts maléfiques, rejoignant l’empire du côté obscure de la force. Aidée par des petits immeubles gris, l’homme aux longs bras extensibles exulte: son envie folle avance. C’est alors que les humain.es inquiet.es pour leur foyer sortent les dents, les griffes et les banderoles. Rien, plus rien, ne sera plus jamais comme avant, dans la plaine ruisselante.