Chronique d’un soleil artificiel – épisode 1

Ceci est l’histoire d’un soleil que veulent apprivoiser des fous, d’un homme-machine aux longs bras extensibles, de grands buildings publiques abritant du pouvoir, d’une plaine ruisselante toujours grignotée, d’oiseaux et d’arbres sentant le danger arriver, d’humaines inquiets pour leur foyer et leur futur, de copaines en luttes.

Épisode 1 – 2005 – 2019
En 2005, les plus grandes nations de notre terre choisissent la France, cocorico, et plus précisément Saint-Paul-les-Durance, à 20 km de Pertuis, pour accuellir ce qu’on nous présente comme l’énergie du futur, celle qui nous sauvera du charbon: le projet ITER, qui consiste à imiter la production de plasma réalisée par le soleil. Evidemment, maîtriser plus de 100 millions de degrés dans une machine n’est pas une mince affaire, et il faudra un nombre assez indécis de décennies pour finaliser la chose. Comme de bien entendu, il s’agit d’une énergie sans dangers et propre, qui consomme simplement de l’hydrogène issu la mer: enfin, plus exactement, de deutérium dont l’extraction est très énergivore, et aussi de lithium, métal labellisé AB depuis fort longtemps.

Pour bâtir la cité-projet Cadarache, les décideurs étaient déjà parvenus à compenser les nombreux dégâts infligés au vivant: pour cela il suffit de déplacer ou réintroduire des espèces de manière assez aléatoire. Deux ou trois arbres replantés ici ou là, et le développement durable est ainsi validé. A ce propos, si, aujourd’hui, on regarde la compensation pour les vies et biodiversités brisées prévues dans le cadre du projet de prison d’Entraigues (2021), il s’agit véritablement de dizaines de jeunes arbres plantés, éberlués, sur un rond-pont donnant vue sur une autre belle zone d’activité.

En 2005, on préssent dans les couloirs de l’état une envie, un besoin: du béton, oui il en faudra plein pour développer ce projet hautement écologique impliquant d’hypothétiques sous-traitants. Ce doux espoir arrivera à l’oreille de notre principal protagoniste, Roger dit Docteur Octopellenc, monstre hybride dotés de super-pouvoirs bitumisants. Si des anciens de Pertuis le soupçonnent d’avoir volé l’invention d’un copain pour fonder une entreprise qui deviendra un empire (Groupe Pellenc, 18 filliales dans le monde, acteur majeur des machines agricoles, CA > 200M€, slogan “La nature est notre moteur”), lui n’a cure de ses rumeurs et poursuit son rêve qui est celui de “robotiser les cornichons”.

En 2008, Octopellenc se dit qu’il pourrait apporter tellement plus aux pertuisiens: le voilà qu’il se présente aux élections municipales (étiquette Divers Droites, réélu en 2020 avec 17% des inscrits) et remporte la mise grâce à la bonne vieille base réac vauclusienne. Tel un premier de la classe, il se met tout de suite au travail et, en décembre 2010, rapporte un dossier de 95 pages devant la Communauté du Pays d’Aix présentant un projet de Pertuis-Silicone-Durance: pôle ITER, pôle biocarburants, centrale thermodynamique sur 50 hectares… Pellenc Musk est plus chaud que le climat! On y aperçoit déjà son dégoût envers la clique des marginaux, puisqu’il ambitionne de “redonner son dynamisme à cette plaine agricole riche mais extrêmement morcelée, devenue aujourd’hui le territoire des gens du voyage sédentarisés”.

Dans les années qui suivent, on assiste alors au balai classique de nos institutions locales préféréres: la mairie de Pertuis, la Métropole d’Aix Marseille, la Préfecture du Vaucluse et l’EPF (Etablissement Publique Foncier) valideront tour à tour les différentes étapes du projet. PLU facilement modifié en 2015, et 5 millions d’euros prévus pour renforcer des digues – car la plaine de Durance est globalement inondable. A Pertuis comme à Cadarache, on sait prendre soin de la nature-moteur, puisqu’on n’oublie pas de compenser le bétonnage par la création d’une ZAP (Zone Agricole Protégée): ouf !

A partir de 2016, l’EPF, sans doute pressé par un Roger bavant d’impatience, commence à racheter des terres et maisons avant même que le projet soit officiellement reconnu d’utilité publique (2020). En exemple, la fameuse parcelle qui accueillera plus tard un magnifique verger fut rachetée en 2018. Oh, suprise, celle-ci est voisine des entrepots Pellenc, de même que les maisons occupées… Décidément, les coïncidences s’enchaînent dans cette nébuleuse affaire. En mars de la même année est pondue une première estimation d’une ligne de budget que l’on nommera sobrement “expropriations & clientélismes” de 13 millions d’euros. Les détails de cette évaluation à la louche ne sont pas connues, contrairement aux disparités de rachats constatées sur les parcelles agricoles rachetées par l’EPF dans le coin (entre 1 et 107€ du m²), comme si l’herbe était plus verte ailleurs.

Après 14 années de travail aussi bureaucrate que démocrate, les arcanes du pouvoir se décident à informer des personnes qui seraient potentiellement intéressées par le projet: il s’agit en l’occurence des familles et agriculteurs qui risquent l’expropriation. Ainsi, lors de ce bel automne 2019, il reçoivent une missive fort déroutante: “Un certain projet est désormais bien ficelé. C’est tellement du solide que vous serez probablement bientôt oté de votre cadre de vie. Nous prendrons bientôt le temps de discuter ensemble des modalités. Votre tendre Roger.” Coup de semences à Pertoche: des humains décident de se regrouper et de s’opposer. Terre Vives Pertuis is born.

 

Quelle aventure! Dans le monde des fous, personne ne sait où il va, et ça ils ne l’ont jamais bien su. L’homme-machine en profite et, tout comme ses ennemis, joue des cartes dans son salon: “ici je dégage les anarchistes, marginaux, ici oust les gitans, ici je détruis, ici je bétonne, ici je m’étends, ici ici ici…!”. Les grands buildings publiques l’écoutent et acquiescent ces idées aussi sérieuses que futuristes. La plaine et ses animaux se font du sang d’encre ; l’écureuil comprend vite que le rapport de force face à une pelleteuse lui est défavorable. Se ralie alors à lui des humains qui, profitant d’un cormoran voyageur, décide d’affronter les fous, l’homme-machine et les grands buildings publiques. Les copaines en lutte, eux, ne connaissent pas encore Pertuis…